En 2017, lors de la première édition du FII, lancé en grande pompe, le jeune prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, avait été salué comme visionnaire, séduisant les investisseurs en parlant de robots et dressant des plans futuristes pour une mégalopole d’avant-garde appelée Neom.
Un royaume en crise
L’affaire de l’assassinat à Istanbul du journaliste saoudien Jamal Khashoggi n’ayant cessé de s’amplifier, « L’Arabie Saoudite est confrontée à sa plus grande crise avec l’Occident depuis le 11 Septembre », selon un éditorialiste du Guardian (1).
Conséquence directe, le désengagement de nombreux invités de marque du monde politique des affaires, des médias et des finances, surtout occidentaux, qui n’ont pas participé donc pas à la seconde édition du grand forum des investisseurs à Riyad, le Future Investment Initiative (FII) qui avait lieu en octobre 2018 à Ryad. En particulier, concernant les USA, le New York Times a cessé son sponsoring et le Financial Times a revu son partenariat. D’Uber à Facebook, de JP Morgan à Virgin, des dizaines de sociétés et personnalités ont renoncé à aller au Davos du désert et le royaume est "en crise", comme l’a reconnu le ministre saoudien de l’Énergie… À noter cependant que des personnalités chinoises et russes étaient présents malgré l’affaire Khashoggi (2).
L’affaire du Ritz Carlton, qui a vu 400 princes et hauts dignitaires du régime arrêtés et retenus dans ce palace de Riyad en novembre 2017, a laissé des traces. « Les investissements directs étrangers se sont effondrés de 80 % l’an passé, tombant à 1,5 milliard de dollars à peine », calcule Seltem Iyigun, économiste à la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface). Les capitaux saoudiens désertent en douce le royaume : 80 milliards en 2017, et encore 65 milliards cette année, d’après les estimations de la banque d’affaires JP Morgan.
Où en est Neom ?
Lors de la première édition en fanfare de la FII, Mohammed Ben Salmane alias « MBS », le prince héritier tout-puissant d’Arabie saoudite, avait annoncé en fanfare la mise en chantier, dans le nord du pays, d’une mégalopole futuriste, baptisée Neom (association de neo, nouveau en latin, et M pour Mostaqbal, futur en arabe). Un an plus tard, le retournement de situation est total (3).
Qu’adviendra-t-il de ce projet Neom, la future ville high-tech au cœur du désert ?
Ce projet est inscrit à l’agenda de "Vision 2030", l’ambitieux plan de modernisation et de diversification de l’économie saoudienne censé métamorphoser la monarchie pétrolière en royaume de la technologie, du tourisme, de la finance et des énergies renouvelables.
Cette ville utopique à 500 milliards de dollars couvrirait une superficie de 26 500 km² — soit trois fois l’île de Chypre ou deux cent cinquante fois la taille de Paris — en plein cœur du désert, au nord-ouest de l’Arabie saoudite, sur les bords de la mer Rouge. Certains secteurs seront frontaliers de la Jordanie et de l’Égypte. Le plan comprend notamment un pont enjambant la mer Rouge et reliant la ville à l’Égypte (4).
La direction du projet fut confiée initialement, en octobre 2017, à Klaus Kleinfeld. Ce dernier est président et CEO de Alcoa Inc et ancien CEO de Siemens AG. Il est également membre du comité de direction du groupe Bilderberg. Tout en gardant une place importante dans le projet, il a été remplacé le 1er août dernier par Al-Nasr, membre du conseil d’administration fondateur de Neom. Al-Nasr a plus de 30 ans d’expérience au sein du géant pétrolier Saudi Aramco et a récemment été président par intérim de l’Université des sciences et technologies King Abdullah (5). C’est lui, désormais, qui conduit la stratégie de développement de Neom Bay.
Ira, ira pas ?
« Difficile de jouer la carte de la transparence quand la corruption et l’opacité sont consubstantielles au développement économique du pays », dénonce Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Pour attirer les géants de la high-tech ou des télécoms, les grands de la construction comme Bouygues, Vinci ou Véolia, ou encore les banques, il faut davantage que de grands raouts médiatiques. Il faut des preuves (6).
Au même moment, la politique française concernant le Yémen en guerre se trouve subitement exposée au grand jour. Selon le rapport annuel officiel sur les exportations d’armement de la France publié en juin 2018, l’Arabie saoudite est bien le deuxième client de notre pays sur les dix dernières années, derrière l’Inde, mais devant le Qatar, l’Égypte, le Brésil ou les Émirats arabes unis. L’an dernier, Paris a livré pour 1,38 milliard d’euros d’armement à Riyad, devancée cette fois par l’Égypte. Autrement dit, si l’on prend en compte, la partie des achats d’armes par l’Égypte financée par l’Arabie Saoudite, cette dernière est peut-être, de fait, le premier client de la France (7).
Pas facile de savoir comment les choses peuvent tourner. Sacré dilemme. L’hypocrisie est-elle encore de mise ?
(1) https://www.liberation.fr/planete/2018/10/18/affaire-khashoggi-du-roman-d-espionnage-au-film-d-epouvante_1686329?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1539891460
(2) https://maroc-diplomatique.net/les-compagnies-medias-americaines-se-desengagent-dun-evenement-saoudien-suite-a-laffaire-khashoggi/
(3) https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/10/16/a-riyad-le-davos-du-desert-enlise-dans-l-affaire-khashoggi_5370048_3234.html
(4) https://www.lesechos.fr/24/10/2017/lesechos.fr/030780213112_l-arabie-saoudite-veut-batir-une-mega-ville-a-500-milliards-de-dollars.htm
(5) http://saudigazette.com.sa/article/543977/SAUDI-ARABIA/Saudi-National-Day/NEOM-aims-to-drive-transformation-of-Saudi-Arabia
(6) https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/arabie-saoudite-mbs-et-les-mirages-de-l-apres-petrole_2043453.html
(7) https://www.nouvelobs.com/chroniques/20181024.OBS4444/vente-d-armes-a-l-arabie-saoudite-ce-que-macron-ne-veut-pas-dire.html?fbclid=IwAR2Hy3OZ6fQtInTxqYSQjgPdCh1o76VSJAnsWVgmz8U1z_cePnOdexd_0to
Un royaume en crise
L’affaire de l’assassinat à Istanbul du journaliste saoudien Jamal Khashoggi n’ayant cessé de s’amplifier, « L’Arabie Saoudite est confrontée à sa plus grande crise avec l’Occident depuis le 11 Septembre », selon un éditorialiste du Guardian (1).
Conséquence directe, le désengagement de nombreux invités de marque du monde politique des affaires, des médias et des finances, surtout occidentaux, qui n’ont pas participé donc pas à la seconde édition du grand forum des investisseurs à Riyad, le Future Investment Initiative (FII) qui avait lieu en octobre 2018 à Ryad. En particulier, concernant les USA, le New York Times a cessé son sponsoring et le Financial Times a revu son partenariat. D’Uber à Facebook, de JP Morgan à Virgin, des dizaines de sociétés et personnalités ont renoncé à aller au Davos du désert et le royaume est "en crise", comme l’a reconnu le ministre saoudien de l’Énergie… À noter cependant que des personnalités chinoises et russes étaient présents malgré l’affaire Khashoggi (2).
L’affaire du Ritz Carlton, qui a vu 400 princes et hauts dignitaires du régime arrêtés et retenus dans ce palace de Riyad en novembre 2017, a laissé des traces. « Les investissements directs étrangers se sont effondrés de 80 % l’an passé, tombant à 1,5 milliard de dollars à peine », calcule Seltem Iyigun, économiste à la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface). Les capitaux saoudiens désertent en douce le royaume : 80 milliards en 2017, et encore 65 milliards cette année, d’après les estimations de la banque d’affaires JP Morgan.
Où en est Neom ?
Lors de la première édition en fanfare de la FII, Mohammed Ben Salmane alias « MBS », le prince héritier tout-puissant d’Arabie saoudite, avait annoncé en fanfare la mise en chantier, dans le nord du pays, d’une mégalopole futuriste, baptisée Neom (association de neo, nouveau en latin, et M pour Mostaqbal, futur en arabe). Un an plus tard, le retournement de situation est total (3).
Qu’adviendra-t-il de ce projet Neom, la future ville high-tech au cœur du désert ?
Ce projet est inscrit à l’agenda de "Vision 2030", l’ambitieux plan de modernisation et de diversification de l’économie saoudienne censé métamorphoser la monarchie pétrolière en royaume de la technologie, du tourisme, de la finance et des énergies renouvelables.
Cette ville utopique à 500 milliards de dollars couvrirait une superficie de 26 500 km² — soit trois fois l’île de Chypre ou deux cent cinquante fois la taille de Paris — en plein cœur du désert, au nord-ouest de l’Arabie saoudite, sur les bords de la mer Rouge. Certains secteurs seront frontaliers de la Jordanie et de l’Égypte. Le plan comprend notamment un pont enjambant la mer Rouge et reliant la ville à l’Égypte (4).
La direction du projet fut confiée initialement, en octobre 2017, à Klaus Kleinfeld. Ce dernier est président et CEO de Alcoa Inc et ancien CEO de Siemens AG. Il est également membre du comité de direction du groupe Bilderberg. Tout en gardant une place importante dans le projet, il a été remplacé le 1er août dernier par Al-Nasr, membre du conseil d’administration fondateur de Neom. Al-Nasr a plus de 30 ans d’expérience au sein du géant pétrolier Saudi Aramco et a récemment été président par intérim de l’Université des sciences et technologies King Abdullah (5). C’est lui, désormais, qui conduit la stratégie de développement de Neom Bay.
Ira, ira pas ?
« Difficile de jouer la carte de la transparence quand la corruption et l’opacité sont consubstantielles au développement économique du pays », dénonce Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Pour attirer les géants de la high-tech ou des télécoms, les grands de la construction comme Bouygues, Vinci ou Véolia, ou encore les banques, il faut davantage que de grands raouts médiatiques. Il faut des preuves (6).
Au même moment, la politique française concernant le Yémen en guerre se trouve subitement exposée au grand jour. Selon le rapport annuel officiel sur les exportations d’armement de la France publié en juin 2018, l’Arabie saoudite est bien le deuxième client de notre pays sur les dix dernières années, derrière l’Inde, mais devant le Qatar, l’Égypte, le Brésil ou les Émirats arabes unis. L’an dernier, Paris a livré pour 1,38 milliard d’euros d’armement à Riyad, devancée cette fois par l’Égypte. Autrement dit, si l’on prend en compte, la partie des achats d’armes par l’Égypte financée par l’Arabie Saoudite, cette dernière est peut-être, de fait, le premier client de la France (7).
Pas facile de savoir comment les choses peuvent tourner. Sacré dilemme. L’hypocrisie est-elle encore de mise ?
(1) https://www.liberation.fr/planete/2018/10/18/affaire-khashoggi-du-roman-d-espionnage-au-film-d-epouvante_1686329?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1539891460
(2) https://maroc-diplomatique.net/les-compagnies-medias-americaines-se-desengagent-dun-evenement-saoudien-suite-a-laffaire-khashoggi/
(3) https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/10/16/a-riyad-le-davos-du-desert-enlise-dans-l-affaire-khashoggi_5370048_3234.html
(4) https://www.lesechos.fr/24/10/2017/lesechos.fr/030780213112_l-arabie-saoudite-veut-batir-une-mega-ville-a-500-milliards-de-dollars.htm
(5) http://saudigazette.com.sa/article/543977/SAUDI-ARABIA/Saudi-National-Day/NEOM-aims-to-drive-transformation-of-Saudi-Arabia
(6) https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/arabie-saoudite-mbs-et-les-mirages-de-l-apres-petrole_2043453.html
(7) https://www.nouvelobs.com/chroniques/20181024.OBS4444/vente-d-armes-a-l-arabie-saoudite-ce-que-macron-ne-veut-pas-dire.html?fbclid=IwAR2Hy3OZ6fQtInTxqYSQjgPdCh1o76VSJAnsWVgmz8U1z_cePnOdexd_0to